Les toits


Il faisait beau ce matin, pensa-t-il. La femme du sixième étage nettoyait l’armoire. Elle portait un gant en plastique verte et enlevait doucement toutes les habilles. Pour chaque une elle vérifiait le moindre détaille : des taches, une coudre mal faite, une étiquette arrachée. Celles qu’elle trouvait un problème, elle les pliait et mettait dans une valise, les autres elle pliait et empilait sur le lit. Armoire vide, elle enlevait des morceaux de papier peint qui servaient de protection aux étagères et les mettaient à côté. Parfois une mèche de cheveux tombait sur la face et avec le derrière de la main elle la dégageait par-derrière l’oreille. Elle balbutiait des mots tels que pour accompagner les paroles d’une chanson. Peut-être que la radio ou la télévision étaient allumées, mais la lumière de fin de journée créait une ombre dans la pièce qui ne laissait pas percevoir plus de détailles. Il était même impossible de dire les couleurs des murs et s’il y avait quelqu’un d’autre dans l’appartement. Puis avoir tout enlevé, elle a pris toutes les vestes qui étaient pliées sur le lit et les a remis dans l’armoire, n’occupant plus que sa moitié. Elle est disparue dans la pénombre. Il faisait encore un peu jour et Auguste a pris sa brosse pour nettoyer les cheminées, sa veste sale de charbon, son échelle et s’est mis à descendre du toit de l’immeuble en face.
Déjà dans la rue et ses affaires dans le camion, il a pris la route de sa maison. Plus une journée sur les toits était passée, mais c’était la première fois que, au lieu de se détendre avec le paysage rempli de cheminées qui accèdent à l’horizon, Auguste se distrairait avec la vie personnelle de quelqu’un. Il se crût un voyeur, pensée que ne lui a pas du tout gêné. Dans l’embouteillage du Boulevard Périphérique il n’a pas pu éviter d’imaginer des histoires ; de savoir le pourquoi la femme du sixième arrangeait l’armoire d’une telle façon. Il ne pouvait pas s’agiter d’un rangement habituel.
Dans ce même jour, elle aurait reçu la confirmation d’un voyage. Elle aurait rangé son armoire afin de savoir quoi ramener. Après avoir fini, elle aurait descendu vers le café du cartier pour raconter les derniers préparatifs à sa meilleure amie. Elles seraient restées tard le soir en train de rêver et de donner des bonnes rigolades. La copine serait enfin contente parce qu’elle devrait recevoir des cartes postales et devrait hériter les vestes qui ne partiraient pas dans la valise. Auguste est arrêté au feu rouge derrière une voiture ancienne quand il l’a aperçu. Ce n’était pas une histoire possible. Un nettoyeur de cheminées ne comprendra jamais.
Il décida de ne pas prendre sa tête à cause d’une histoire banale. Il était fatigué et le lendemain il avait encore une dizaine de cheminées à nettoyer. Il prépara une ratatouille dans une casserole rouge et pendant qu’elle cousinait, il a enlevé sa veste de poussière noire pour prendre une douche froide et revigorante. L’eau écoulait avec force et lui faisait penser à la pluie que parfois le prendre de surprise sur le toit. Auguste ne se sentait pas bien. Une chaleur envahissait son corps, comme dans un état fébrile. Il n’avait plus faim et l’image de la ratatouille lui produisait de cauchemar. Encore enroulé à la serviette de bain, il fut à la cuisine éteindre le feu et il glissa dans le lit.
Dans son rêve, la femme du sixième étage était à sa fenêtre avec ses gants verts. Elle faisait des signaux à Auguste, qui était sur le toit de l’immeuble en face. Elle lui appelait. Il fut. Au sixième étage, il a ouvert la porte et il entra. Il n’y avait personne. La femme n’était plus là. En face de l’armoire remplie à la moitié, une personne habillé d’une veste sale de charbon, nettoyait les étagères avec une brosse. Auguste reconnaissait dans la personne sa propre image. La transpiration avait mouillé les draps et Auguste grelottait, mais la fièvre était tellement intense qu’il ne se réveilla même pas. Il était malade de cette histoire.
Le lendemain, il se réveilla sans aucun souvenir. Rien. Pas de trace de rêve. Pas de mémoire de la journée précédente. Il n’a jamais eu une femme en gants verts au sixième étage. Ni la femme réelle, ni celle du rêve. Il n’avait plus de fièvre. Les draps étaient déjà secs par la chaleur ambiante. La seule marque était la ratatouille cuite sur le four. Mais Auguste ne l’a pas remarqué. Il a pris sa veste de travail et il est parti comme d’habitude.
Du sixième étage de l’immeuble, il regarda l’horizon. Il fait beau ce matin, il pensa. Avec la brosse, il nettoyait chaque cheminée. La sueur filait par la tête et avec le dos de la main il l’essuyait. Il enleva sa veste parce que la chaleur empêchait de bien travailler. Et au moment qu’il se tourna pour la poser sur le toit, il aperçoit au sixième étage de l’immeuble en face une femme en gants verts qui rangeait l’armoire. Elle se tourne, une mèche de cheveux tombe sur le front, mais elle ne la touche pas, elle s’approche de la fenêtre, regarde l’horizon, ferme les volets et disparaît dans la pénombre pour toujours.